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Félin... bécile

Au fond d'un cachot...

7 Janvier 2014 , Rédigé par Scat cat Publié dans #littéraire

Ce n'était pas parce que sa chambre était froide, malgré l'épaisseur des murs en pierres de taille, que les jours passaient sans qu'elle ne quitte le lit. Pas plus que ce n'était à cause de la pénombre. Il y avait certes une large fenêtre, pourvue de barreaux bien évidement, mais elle donnait sur la cour du château. Cette chambre, sa cellule depuis tant d'années, était située dans une tour des remparts et faisait face au donjon. Autant dire que le soleil n'y entrait que part exception. Même cet astre divin n'osait briser les règles de son exclusion.

Non, ce qui la retenait au fond de son lit, c'était la solitude. Ici au moins, elle sentait les couvertures peser sur ses habits élimés. Ici au moins, il y avait quelque chose sur quoi poser sa tête ; un oreiller, piètre substitut à une épaule amicale... Il y avait aussi ce coussin, qu'elle avait pris au vieux fauteuil qui trônait à côté d'une cheminée qui n'avait jamais servi, faute de bois. Ce coussin qui, depuis, ne quittait pas ses bras. Elle avait un poids sur son corps, un réceptacle pour ses larmes et quelque chose à enserrer dans ses bras. Pourquoi aurait-elle quitté le seul endroit où elle pouvait presque nier son emprisonnement ?

Elle fut tirée de sa rêverie par des bruits dans l'escalier. Elle n'avait droit qu'à un repas par jour, au coucher du soleil, et à aucune visite. Personne n'aurait osé braver les ordres du maître des lieux, personne à part lui... sa rêverie repartie de plus belle.

Elle se revit en ce jour où elle fut surprise de voir la porte s'ouvrir. Une ouverture coulissante en sa base permettait de faire passer sa nourriture, si bien qu'elle avait fini par croire qu'il n'y avait ni serrure, ni même poignée. La porte avait dû être scellée dans les murs durant la construction de la tour, et elle, placée là, telle une poupée oubliée par la fille d'un maçon.

Un homme en armure se tenait dans l'embrasure de la porte. Etrange spectacle que cette silhouette. Le dos éclairé par les torches de l'escalier, la face dans la pénombre de la chambre ; elle donnait l'impression de voir l'envers du décor, de regarder un tableau de l'intérieur. Un peu plus et elle aurait cherché le peintre des yeux. Peut-être même l'avait-elle fait, de ce jour elle ne se souvenait avec clarté que de son coeur battant.

Il s'agissait d'un chevalier en visite au château. Plus curieux que les autres, il écoutait toujours les bruits qui sortent des couloirs de services. Ces étranges échos de la voix du maître disaient bien plus de vérités que le plus téméraire des bouffons. C'est ainsi qu'il avait trouvé sa prison, ainsi qu'il l'avait trouvée, elle.

Hélas, aussi curieux soit-il, il n'en était pas inconscient au point d'encourir l'ire de son hôte. Lorsqu'il parti, il la laissa donc captive, non sans une promesse de retour. De tous les mots qui furent dit ce jour, ces deux mots, "je reviendrais", étaient les seuls qui ricochaient encore entre les murs qui la retenaient captive. Mais c'était là belle promesse, de celles qu'il devait faire chaque matin, en quittant le lit de la belle qu'il avait séduit, pour profiter autant de la chaleur de son corps, que du corps lui-même.

Elle avait voulu y croire, mais jamais n'y était arrivé. Lorsque l'horizon se limite à quatre murs et que la voute étoilée est entrecoupée de poutres en chêne massif, à quoi peut-on croire ? Surement pas à la réalité d'une porte qui s'ouvre... Cette porte est scellée et elle, elle n'est qu'une poupée oubliée... Oubliée derrière une porte... Ouverte !

Sa soudaine découverte la fit se redresser d'un bond dans son lit. Elle ne l'avait pas vu s'ouvrir, quand cela était-il arrivé ? Assurément, sa rêverie éveillée avait durée plus qu'elle ne l'aurait cru.


- Je suis désolé, je ne voulais pas vous faire peur, dit le nouvel arrivant.

 

 

Le doute n'était plus permis. Cette voix... Cette voix, elle l'a déjà entendu. C'est lui, son chevalier ! Alors qu'elle réalisait que ce n'est pas une rêverie, mais un souvenir, qui avait accaparé son esprit, elle ne pu retenir une larme. Que de temps perdu, que de temps qu'elle n'a pu passer à parler à son beau chevalier.

 

 

Se levant pour de bon, pour la première fois depuis une éternité, elle quitta son lit, courant vers son bel inconnu.


- C'est à moi d'être désolée, dit-elle en se jetant sur lui, je vous ai fait là un bien piètre accueil.

 

 

Il était venu sans son armure cette fois, aussi n'hésita-t-elle pas un instant à se montrer par trop familière avec lui. Elle l'enlaça, passant un bras autour de son cou, l'autre sous son bras, et acheva le tout en posant sa tête sur son épaule, sentant son corps peser contre le sien. Cela n'avait rien de comparable à ces ersatz de présence qu'elle avait dans son lit.


- Au contraire, répondit le chevalier, quelque peu gêné d'être ainsi enserré. De vous voir ainsi allongée, la rêverie illuminant votre visage, vous ne pouviez me faire meilleur accueil.

 

 

Au fil des secondes, sa gêne s'envola. Il est vrai qu'il n'avait osé dire mot, osé révéler sa présence, de peur que le bonheur qu'il lisait sur son visage ne s'envole à jamais. Mais, elle semblait heureuse maintenant et, d'un geste un peu gauche, il l'enlaça en retour.

A peine ses bras musclés s'étaient ils posés sur son dos frêle, qu'elle fondit en larmes. De peur d'avoir mal agit, il voulu les retirer aussitôt. Il tenta de desserrer son étreinte, pourtant légère, mais ses bras à elle se refermèrent sur lui telles des étaux. Elle n'eut pas besoin de mots, il comprit le message. Déplaçant un peu ses bras, pour qu'ils ne soient pas trop pesants, il la garda serrée contre lui.

Lorsque ses pleurs s'estompèrent, d'une main il dégagea la mèche de cheveux qui, quittant son abri derrière l'oreille, était venu se dresser, tel un voile de pudeur, entre lui et le visage de la belle captive. Des larmes coulaient encore paresseusement de ses yeux. C'est étrange, pensa-t-il, comme la vulnérabilité peut l'embellir.


- Messire, , commença-t-elle entre deux derniers sanglots, je sais bien que vous allez partir.
- Je ne...
- Chuuuut, écoutez-moi messire, je vous prie.

 

 

Ses derniers mots étaient à peine audibles. Il ne savait encore quel était le secret qu'elle allait partager avec lui, mais il comprenait, à cette pudeur qui marquait jusqu'à sa voix, que c'était celui de son coeur. Il avait certes été taillé pour et par les batailles, mais il n'en était pas rustre pour autant. Il savait, d'instinct, que lorsqu'une femme s'apprête à vous révéler un tel secret, l'on ne peut que l'écouter, sans mot dire.


- Ô mon chevalier, poursuivit-elle une fois assurée de son silence, je ne me fais point d'illusion. Vous êtes vaillant et moi, guère mieux qu'une souillon. Vous avez, j'en suis sure, terres et futur, je n'ai moi d'autre avenir, que ses quatre murs.

 

 

 

 

Une souillon qui, pour peu, pensa-t-il, s'exprimerait en alexandrins.


- Je ne sais rien de vos désirs, continuait-elle inconsciente des pensées de son héros, de vos plaisirs, rien de ce qui vous sied, de tous vos loisirs. Mais, pour vous, je peux apprendre. Non ! Je le veux. Apprenez-moi, ô mon chéri, selon vos voeux. Guidez mes gestes, soufflez-moi les réponses, montrez sur moi ce que vous voulez. Une once de peur, certes me parcourt, mais, chevalier, faite de moi, s'il vous plait, tel qu'il vous sied.

 

 

Loin d'être pesant, le silence qui suivi l'emmena, lui qui était pourtant un homme bien pragmatique, se perdre à son tour dans ses pensées. Ses paroles étaient touchantes, émouvantes de sincérité. Le fait qu'il s'en eu fallu de peu qu'elle ne récite là un poème en alexandrins n'y était sans doute pas étranger. Cela donnait du caractère à son discours ; elle l'avait préparé, assurément. Combien de temps avait-elle consacré à l'expression de son désir ? Loin de lui retirer toute part de sincérité, cette absence de spontanéité lui conférait une force plus grande encore, celle de la certitude.

Ses mots avaient été choisis, puis mainte fois changés jusqu'à correspondre parfaitement à la réalité. C'est de là, probablement, que venait le côté bancal du poème qu'ils formaient. Son intention initiale avait dû être une suite d'alexandrins, un poème d'amour pour une déclaration d'amour... Mais, la force du temps et des changements fut plus fort que le désir de séduire jusque dans la sonorité de sa déclamation. Elle n'avait pas tant chercher la beauté des rimes et la justesse des sons, que la beauté du coeur et la justesse des émotions.

C'est cela, plus que tout, qui lui avait transpercé le coeur une première fois. La seconde flèche qu'il y reçu fut, elle, beaucoup plus douloureuse ; ce n'était plus une flèche d'amour, mais une flèche de justice ! Il n'avait rien à lui offrir. Lorsqu'il la vit pour la première fois, il était chevalier errant, dissolu et à l'avenir bien étrange, à mille lieu de sa vie actuelle. Son avenir n'avait guère changé, mais son errance, elle, s'était envolée. Peut-être se serait-il laissé séduire alors, mais maintenant, pouvait-il se le permettre ?

Il avait trouvé un port d'attache, chose qu'il cherchait depuis si longtemps. Pouvait-il se permettre de mettre cela en péril en défiant le tortionnaire de cette captive qui ainsi s'était offerte à lui ? Quant bien même n'y aurait-il pas de défi, que le simple fait d'être dans cette chambre mettait son présent en péril. La réponse était évidente. Son coeur saignait face à la détresse de cette belle, mais son présent avait une telle importance à ses yeux, qu'il n'osa pas même le mettre dans la balance. Le résultat il le connaissait, sa belle ferait alors bien piètre figure. C'est pour cela, parce que la comparaison ne ferait que lui conférer une pâleur et une fadeur qui ne seraient qu'artificielles, qu'il ne poussa pas plus loin sa réflexion.

Il n'aurait dû faire plus attention, se sermonna-t-il, être plus attentif à ce qu'il faisait, à ce qu'il disait. Elle lui offrait son âme, enveloppée de sa seule pudeur. Lui n'avait en retour qu'une épaule à lui offrir, une épaule qui, déjà, n'appartenait plus qu'à moitié à lui-même. Il l'avait trompée... Jamais il ne reviendrait pour l'emmener en selle sur son destrier. Elle le savait, ses mots le disaient pour elle, tout comme ils disaient qu'elle s'en moquait. C'était ce dernier point qui lui était le plus douloureux.

Avoir fait naitre l'espoir, il s'en félicitait. Du fond de cette prison, aux dorures depuis longtemps effacées, l'espoir était un foyer qui, assurément, devait lui réchauffer le coeur. Mais il aurait dû être vigilant, ne pas le laisser sans surveillance. Cette petite braise d'espoir, qu'il avait laissé à son départ, avait allumé un incendie qui, lui-même, avait fini par la consumer et auquel maintenant il se brulait. Il pensa certes l'avoir bien mérité mais, porter ce poids sur sa conscience était bien plus une punition pour elle, que cela ne l'était pour lui.

L'idée de la magie lui traversa l'esprit l'espace d'un instant. Il la chassa aussitôt d'un geste qui, pour n'en être que mental, n'en était pas moins ferme et décisif. Il ne regrettait pas la fin de son errance. Revenir en arrière, demander, au lieu d'attendre un geste qu'elle n'avait alors osé, oser lui-même, bravant le courroux de son hôte et partir avec elle, cela était donc exclu. Ah, si au moins il existait un moyen de lui faire oublier sa bétise, de sortir de son esprit à elle, l'erreur que lui avait faite. Mais il avait déjà cherché, pour une bourde passée, une telle chose était impossible.


- Mon amie, dit-il enfin, je vous entends et vous comprends. Ce que vous m'offrez là, vaut bien plus que tout mes biens réunis.
- Peu m'importe vos biens, votre avenir !

 

 

Il l'avait blessée, son emportement ne trompait pas. Il voulu se corriger, mais en même temps il avait pire encore à avouer et soudain il n'osait. Lui, chevalier à coeur vaillant, se retrouvait soudain dépourvu de tout courage.


- Mon amie, ô douce amie, murmura-t-il en passant doucement ses doigts dans cette chevelure qui, part trop souvent, venait s'interposer entre eux.
- Messire, votre présence seule est déjà plus que tout ce que je possède moi-même. Je ne vous demande rien et vous offre tout.

 

 

 

 

Ainsi il avait bien compris. De ce poème devenu bancal, elle n'ignorait ni la portée ni la signification profonde. L'espace d'un instant, ses pensées le ramenèrent à son interrogation initiale ; combien de temps avait-elle passé à en choisir les mots, à en peser jusqu'à la moindre virgule ?

 

 

Il se ressaisit aussitôt. Il s'était permit la rêverie, et elle l'avait gagnée elle, causant bien plus de ravages qu'il n'aurait pu l'imaginer, il ne devait pas, ne pouvait pas, se permettre de recommencer. Il s'apprêta à son terrible aveux, mais elle le prie de court.


- Prenez ce qui vous sied, dit-elle, prenez le selon votre désir et quand celui-ci se manifeste, s'il le fait. Et si d'aventure vous vouliez m'en rendre une partie, ou ne faire que des emprunts, qu'à dieu ne vaille, faites. Je ne me suis pas jetée à vos pieds, c'est votre cou que j'ai enlacé. Je ne me soumets pas, je m'offre, tel un coffre ouvert dans lequel vous pourrez venir piocher quand et s'il vous sied...

 

 

Une boule se forma dans sa gorge. Ce qu'il avait à dire était déjà difficile avant qu'elle n'ait dit ces derniers mots, avant qu'elle n'est fait ce dernier aveux. Aveux contre aveux... Elle lui offrait non son coeur, mais son âme. Ses mots étaient justes, il le sentait, elle ne se soumettait pas, elle se donnait totalement à lui, s'en remettait à lui, à son bon plaisir. Elle se comblerait d'un tout, venait-elle de dire, et se satisferait déjà largement d'un rien. Mais ce que lui avait à donner en retour, c'était encore moins que cela, l'accepterait-elle aussi ?


- Mon amie, reprit-il, je n'ai rien à vous offrir, non parce que je ne le veux point, mais parce que point ne le peux ; je ne m'appartiens plus.

 

 

 

 

Elle ne dit rien. Pas un son, pas même un geste, n'accueilli cet aveux qu'il venait de faire. Pour autant, il n'était pas dupe, ce n'est pas l'indifférence qui en était la source. S'il n'y avait eu ces larmes qui, dignes, descendaient lentement de ses yeux, la soudaine raideur de son corps dans ses bras lui en aurait déjà dit plus qu'il n'aurait aimé en savoir.

 

 

Doucement, avec une tendresse qui, bien que tenant plus de sa propre peine que de celle de sa captive bien aimée, n'en était pas feinte pour autant, de sa main qui, un instant plus tôt écartait ses cheveux, il posa sa tête sur son épaule. Il ne pouvait rien dire, tout avait été dit en deux phrases, courtes mais qu'il savait assassines. Il ne pouvait non plus faire quelque chose, car tout simplement il ne le voulait. La seule possibilité qu'il avait était celle-ci, la laisser pleurer, encore et encore, s'il le faut jusqu'à l'heure de se séparer...

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