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Félin... bécile

Une erreur à la livraison...

9 Janvier 2014 , Rédigé par Scat cat Publié dans #transidentité, #personnel

Ce sont des choses qui arrivent.Tellement de colis, tellement d'adresses, parfois les choses se mélangent, d'autres fois elles se perdent. Une réclamation, quelques discussions, un peu d'insistance si nécessaire, et le problème est réglé. Mais il est des erreurs de livraison qui ne peuvent être corrigées ; la nature n'a pas de service clients auquel s'adresser...

Lorsque l'on nait dans un corps qui n'est pas le sien, lorsque son genre (son esprit si vous préférez pour l'instant) et son corps ne sont pas en concordance, il n'y a personne vers qui se tourner. Certes, certains finissent par avoir recours à la chirurgie, corrigeant leur corps pour qu'il se rapproche le plus possible de celui qui aurait dû être le leur. Je n'ai rien contre ces personnes, je les respecte d'autant plus que je comprends leur choix, cette nécessité impérative qui ne souffre aucune alternative. Ce ne fut pas mon choix, cela aurait pu.

J'ai eu la chance d'accepter mon corps, d'arriver à harmoniser mon genre avec lui. Les lecteurs partageants mon sort savent que le problème est bien plus compliqué que cela ; qu'ils me pardonnent ce raccourci et ceux qui pourraient suivre, il y a tellement à dire que cela fera l'objet d'un autre billet. Je parle de chance, mais j'aurais tout aussi bien pu parler de courage et de force. Même lorsqu'une telle acceptation est possible, cela ne se fait pas sans mal, sans souffrance. Alors oui, je comprends que pour certains, retrouver le corps qui aurait dû être le leur soit, non un désir ou un caprice, mais bel et bien une nécessité vitale. Je le comprends d'autant mieux que, comme eux, je vis au quotidien avec cette erreur à la livraison ; comme eux, je suis confronté au regard de la société qui me renvoie de moi une image qui n'est pas la bonne. Le fait que j'arrive à vivre avec ne signifie pas pour autant que cela est toujours facile.

 

Je suis une femme...

 

Ceux qui me connaissent doivent être surpris par cette révélation. Moi qui porte la barbe depuis maintenant plus de vingt ans, difficile de croire que d'être considéré comme un homme puisse parfois me peser, puisse m'avoir pesé terriblement par le passé. Les rares qui m'ont déjà vu doivent l'être plus encore, puisque mon attitude est plus masculine encore que ne peut l'être ma barbe. Pourtant, il n'y a pas d'incohérence, juste une adaptation ; j'ai utilisé les armes à ma disposition, pour mieux me protéger.

Lorsque vous voyez passer un barbu qui avance d'un pas décidé, se tenant droit et le regard ferme, et bien vous décidez d'attendre un peu plus avant de solliciter quelqu'un. Ce faisant, vous ne lui donnerez pas du "monsieur"... et cela me va très bien. Accessoirement, cela s'accorde avec d'autres aspects de ma personnalité, cela apaise d'autres problèmes.

Mais je n'ai découvert cela qu'avec le temps. Initialement, cette barbe était là pour me vieillir et présenter clairement de moi l'image d'un homme. N'y voyez pas là une volonté de renier ce que je suis ou un endoctrinement éducatif et social qui aurait fini par porter ses fruits. La réalité est beaucoup plus prosaïque, Il est une chose plus douloureuse que de ne pas être considéré selon son genre, c'est d'être considéré selon son corps... mais après une flagrante hésitation.

Pour autant, je l'ai dit, je vis bien cette erreur. De fait, je préfèrerais autant que possible que vous continuiez à me traiter et qualifier en accord avec mon corps. Etant né et ayant grandi à une époque où les mentalités étaient encore étriquées, au point que l'homosexualité était encore considérée comme une maladie à ma majorité, la féminisation à mon égard réveil bien des souvenirs douloureux ; l'on ne vous qualifiait pas comme une femme par respect pour ce que vous êtes, mais par désir d'humiliation.

Ayant bien d'autres soucis, en plus de cette erreur à la livraison, parmi lesquels je ne citerais aujourd'hui que ma paranoïa, une approche différente serait pour moi douloureuse et pour vous désastreuse. Il n'y a guère que les personnes qui me sont vraiment proches, qui peuvent faire autrement. Toutes n'échappent pas au spectre de ma paranoïa, mais ma confiance en elles est suffisamment forte pour que je puisse la faire taire. Ces personnes ne sont vraiment pas nombreuses et se reconnaitront immédiatement ; donc si vous avez un doute, ce n'est pas vous, désolé.

 

Mais, c'est quoi être une femme ?

 

Le plus dur lorsque l'on écrit un billet comme celui-ci, ce sont les amalgames, les mécompréhensions. Surtout, aurais-je tendance à dire, pour les personnes qui, comme moi, sont du genre féminin. Notre société tend vers l'androgynie, qu'un corps de femme soit vétu d'habits purement masculin ne choque personne, à l'exception des "biens pensants" et autres puritains d'un autre siècle. Qu'une personne se déclare du genre masculin alors que son corps est celui d'une femme amènera des questions évidement, mais il en est une qui ne se posera pas, "et comment tu t'habilles ?"

Les femmes dont le genre correspond à leur corps s'habillent déjà largement comme des hommes. Alors, qu'un homme boutonne à droite alors qu'il devait le faire à gauche parce que son corps est celui d'une femme, il n'y a que les cons que cela choc. Mais dès lors que la situation est inversée, la question surgit tout d'un coup, même dans l'esprit des plus ouverts. "Mais, tu portes des robes ?" Et bien non, je ne porte pas de robes. A ce jour, je n'en ais trouvé aucune qui mettent suffisement ma barbe en valeur.

Plus sérieusement, mon genre est féminin, cela fait de moi une femme certes, mais pas une caricature de femme. Ne vous méprenez pas, je n'ai rien contre le transvestisme. Qu'il soit fétischiste ou vienne d'un besoin d'accorder son genre jusque dans ses vêtements, il répond à un besoin légitime. Mais ce ne sont là que les attributs sociaux du genre ; l'on n'est pas une femme parce que l'on porte une robe ; déjà qu'on ne l'est pas parce que l'on possède un vagin... 

Pour la même raison, je n'ai pas une paire d'aiguilles à tricoter posée à côté du canapé et autres clichés, généralement appliqués aux femmes par cette société patriarcale. Issu d'une génération où la notion "d'égalité appliquée" avait encore un sens, les cours de travaux manuels de mon enfance ont inclus le tricot et la couture. Les filles devaient subir le bricolage et autres activitées dites "masculines", il était logique que les garçons subissent, eux, quelques activitées dites "féminines".

Quoi qu'il en soit, mon éducation a été celle d'un garçon, mes loisirs et mes goûts vestimentaires sont donc ceux d'un homme. Il existe des personnes qui s'affranchissent de cela ou qui se sont tout simplement rebellées contre cette éducation par trop éloignée de leurs aspirations profondes. Je n'ai pas ressenti ce besoin, n'ai pas eu leur force de caractère, ou, ce qui est aussi possible, je suis tout simplement un garçon manqué. Même si cela fait sourire, moi y compris, c'est une explication qui n'est pas à exclure.

Le fait que je ne sois pas dans le corps qui aurait dû être le mien ne change rien à tout le reste. Il y a des hommes fleur bleue et des femmes qui sont de vrais garçons manqués, le fait qu'ils soient ou non coinçés dans un corps qui n'est pas le leur ne devrait être qu'un détail aux yeux des autres. Un détail qui a des conséquences parfois tragiques, mais un détail malgré tout ; eux plus que quiconque, savent que ce n'est pas le corps qui nous défini...

 

Passé, présent... futur ?

 

Je l'ai dit, il m'a fallut du temps, mais j'ai fini par accepter cette erreur dont j'ai été la victime, fini par bien vivre dans ce corps qui n'aurait pas dû être le mien. Tout du moins était-ce le cas du vivant de ma femme ; car, oui, je suis hétérosexuel de corps et lesbienne de genre. Ce n'est pas là le fruit de mon éducation, pas même un dégoût pour ce corps masculin qui me prive de tant de choses, c'est juste un fait.

Etrange, n'est-ce pas, que je livre sans honte ma transidentité, mais me sente presqu'obligée de justifier l'homosexualité induite par mon genre. Allez, je vais me rassurer. Sans être dans mon cas (quoi que), ma femme tenait plus de l'homme qu'autre chose. En cela nous étions finalement fait, non pour nous rencontrer, mais pour nous aimer. Cependant, plus que sa masculinité, c'est son acceptation qui me permettait de m'accepter moi-même, de vivre cette dualité genre/corps.

Elle parlait de moi au masculin, tant mieux. Elle m'était proche, cela est l'évidence même, mais il m'a fallut du temps avant d'en arriver à aujourd'hui. Elle aurait pu, avec le temps et ma propre évolution, se mettre à parler de moi au féminin, mais je pense que cela nous aurait perturbé l'un et l'autre. Je n'avais changé ni de corps, ni de genre, j'avais juste réussi à intégrer la dualité qu'ils forment. Rien n'avait donc réellement changé dans notre relation et un changement dans sa façon de parler de moi aurait fait plus étrange qu'autre chose.

Néanmoins, les petits noms qu'elle me donnaient étaient, eux, assexués, ce qui me ravissait. Mieux encore, il lui arrivait, dans une tendre taquinerie en réponse à mon genre ressortant plus que d'habitude, de m'appeler, "ma chérie", allant parfois jusqu'à accorder au féminin le reste de son propos. Force m'est d'avouer que mon coeur était aux anges dans ces moments là. A mille lieu de la souffrance qu'il ressentait lorsque c'était le sarcasme et le désir d'humiliation qui motivait cette appellation de la part des autres.

Quoi qu'il en soit, plus que les mots, c'est son attitude qui faisait la différence. De part son acceptation elle me renvoyait de moi l'image de la femme que je suis. Tout d'un coup je n'étais plus une femme dans ma tête, mais bien dans mon être, simplement parce que quelqu'un me reconnaissait comme tel. D'autant plus que cela se faisait avec amour et donc sans caricature. Elle s'adressait à l'homme qu'est mon corps, mais parlait à la femme qu'est mon esprit, respectant de fait l'un et l'autre, tout deux composantes intégrantes et indissociables de ce que je suis.

C'est cela, cette acceptation respectueuse et cette reconnaissance de ce moi profond que l'on nomme genre, qui me permettait d'être bien. C'est parce que cela n'est plus, que la souffrance peu à peu a fini par s'installer. La femme que je suis subit une frustration de plus en plus forte, simplement parce qu'elle n'est pas reconnue comme telle. Le monde dans son ensemble, sauf toi, lecteur bien particulier qui se reconnaitra, ne renvoie de moi que l'image de l'homme que je ne suis qu'à moitié et même moins encore. Oui, la femme en souffre et fini parfois par se demander si elle existe vraiment...

 

Mais alors, femme ou homme ?

 

Arrivé là, oui, les cartes sont un peu brouillées et la question se pose légitimement. Il n'y a pas de réponse précise à cette question ; du moins pas de réponse qui ne demande pas un blog entier pour être exprimée. Je suis une femme, cela est et ne changera jamais. Mais ma part masculine est d'autant plus présente que j'ai accepté le corps qui est le mien. Si l'on rajoute à cela le poids de l'éducation, celui de l'oppression et de l'intolérance, et une dose d'habitude, puisque j'ai quand même dépassé la quarantaine, ce que la société voit de moi est ce qu'elle s'attend à voir, un homme.

J'aurais donc tendance à répondre à cette question en m'appuyant sur la schizophrénie qui est la mienne. Je n'ai pas de personnalité multiple, mais je m'en suis construite une seconde. Il y a la femme que je suis, fragile et sensible, marquée au fer rouge par les souffrances qu'elle a traversées et qui ne doivent pas leur origine qu'à l'erreur dont elle a été victime. A ses côtés, se tient un homme qui fait de son mieux pour la protéger, encaissant les coups à sa place et sauvant les apparences autant que possible ; de son vivant, ma femme tenait une partie de ce rôle, laissant de fait encore plus de place à la femme pour s'exprimer.

Dans la vie quotidienne, je ne pense pas que les deux puissent être discociés. Je suis une chochotte, merci je sais, la société me l'a assez répété comme cela. C'est ainsi, comme un homme hyper-sensible, que l'on doit probablement me percevoir, du moins si l'on s'attarde suffisement pour dépasser les apparences. Sur ce blog par contre, il est probable que cette dualité de personnalité transparaisse plus, tant de part le caractère personnel de mes écrits, que de part les accords de genre. Certaines choses touchent plus la femme que l'homme qui, lui-même, en tient d'autres à coeur alors que la femme n'en a cure ; oui, il est fort probable que les accords de genre valsent parfois au sein d'une même phrase.

A vous donc de juger qui, à l'écriture d'un billet, dominait ; l'homme probablement dans la majorité des cas, tout simplement parce que c'est fort un homme, non ?

Quoi qu'il en soit, je l'ai dit, je n'ai jamais recherché une reconnaissance absolue. Après tout, moi-même je tends à parler de moi au masculin. Mon souhait en écrivant ce billet n'est pas d'être reconnu selon mon genre, mais que celui-ci soit reconnu. La différence, de prime abord purement rhétorique, est assez simple. Voyez en moi un homme, cela me convient d'autant plus si vous n'êtes pas l'un de mes proches, mais n'empêchez pas pour autant la femme que je suis d'exister en tant que telle.

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